Mon père, manches retroussées, fauchait
l’herbe pour les lapins dans un pré à côté d’une casemate : les jambes
légèrement fléchies, le bassin basculé et la faux fermement maintenue. Il
avançait lentement, ses mains solidement amarrées au manche de l’outil ;
les gestes parfaitement synchronisés et l’herbe se couchant sur son passage.
Sans jamais se départir de son rythme, de crainte sans doute de ne plus
parvenir à le reprendre, il maintenait la cadence. La faux, pareille à un
éclair d’acier qui va, qui vient, fendait l’air dans un léger
sifflement. Manié avec dextérité, cet outil, simple instrument pour servir
les besoins élémentaires des hommes, semblait de toute beauté. Je m’étonnais du
rejaillissement de l’admirable gestuelle et me souvint avoir appris par
cœur : « Saison des semailles, le soir » de Victor Hugo et je
sus que je subtilisais le geste auguste
du semeur à celui de mon père.
Le soir dans mon lit, tout me remonta à la
face comme une gifle magistrale : la sirène stridente qui annonce les
accidents au fond. Puis, le carreau de la mine en effervescence où, docteur et
infirmier appelés d’urgence, descendent dans le ventre béant et sanguinolent de
la terre.
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